L’histoire de « la moustache inattendue » par Louis Doucet

En novembre 2010, lors d’une exposition de peintures sur papier intitulée <Puzzle>[1], Galerie Oliver Nouvellet, mon épouse et moi avions décelé, chez Gilles Guias, artiste dont nous suivons et collectionnons le travail depuis près de trente ans, une double aspiration. La première était celle de la monumentalité. Nous pressentions que l’artiste était enfin prêt à aborder des peintures de grand format. La seconde était celle de la recherche d’une forme de narration. De toute évidence, le peintre exprimait le besoin de s’émanciper d’un univers essentiellement statique, angoissant ou apaisé, pour se lancer dans le récit d’histoires à lectures multiples.

C’est donc assez naturellement que nous avons pensé à lui lorsqu’il s’est agi d’organiser, à la Commanderie des Templiers de la Villedieu d’Élancourt, une exposition sur les mythes, antiques, modernes ou contemporains. Ainsi est né le projet de l’exposition Mythes en abîme[2]. Pendant neuf mois d’un travail exclusif, Gilles Guias s’est attaché à donner sa propre lecture de douze mythes à travers sa compréhension desdits mythes mais aussi de celle d’artistes de toutes époques qui se sont attaqués aux mêmes sujets. L’artiste pouvait enfin donner libre cours à ses deux aspirations : peindre des toiles de grand format sur des sujets qui racontent une histoire.

Au terme de ces neuf mois, qui ont ressemblé à une très longue montée en loge pour le grand Prix de Rome, avec des visites d’atelier toutes les quatre semaines pour effectuer le suivi d’avancement et maintenir une certaine forme de pression souhaitée par l’artiste, le résultat est impressionnant… Mais, l’artiste, brusquement libéré de la pression qui pesait sur lui, a ressenti une forme de baby blues lorsque ses douze grandes toiles ont quitté son atelier pour être accrochées à la Commanderie. C’est alors que nous lui avons proposé un autre exercice, lui aussi sous contrainte : produire une cinquantaine de dessins, accompagnés de textes, à publier dans un livre de la collection dessin-poésie des éditions Cynorrhodon – FALDAC. Le sujet était libre, mais le délai imposé, puisqu’il était prévu une séance de signature lors de sa prochaine exposition individuelle, chez Olivier Nouvellet, en janvier 2014.

Après quelques brèves hésitations, Gilles Guias a rapidement opté pour la thématique de la ville de Paris. Le titre s’est, lui aussi, assez vite imposé… Un peu comme par hasard. C’est une bribe de phrase formulée dans le sommeil et notée au réveil. Aucun lien évident avec Paris ni avec aucun des sujets familiers de l’artiste. Ce n’est que la dix-neuvième image de la série [illustration 1] qui matérialisera cette proposition : un personnage, une sorte d’alter ego de Cézanne, attablé devant le guéridon d’un bistrot, un verre à la main, barbe et moustache surgissant de la pâte du fond de la peinture… De manière inattendue…

En un peu plus de deux semaines, Gilles Guias nous livrera, par paquets de cinq à dix images et textes, ses propositions, toutes plus stupéfiantes les unes que les autres. Pour tenir les délais imposés, certaines peintures ont même dû être stabilisées avec un sèche-cheveux… Elles sont toutes du même petit format – 22,5 x 14 cm –, verticales, la taille de la page du livre, mais ont été un peu réduites pour tenir compte des contraintes d’impression. Elles sont peintes à l’acrylique, dans des camaïeux de gris.

Si les dimensions ne sont plus monumentales, le traitement des sujets n’en reste pas moins imposant. La dimension narrative est présente, mais plus ouverte que dans les mythes. Les textes d’accompagnement ouvrent des portes, fournissent des indices mais se plaisent aussi à brouiller les pistes. Au lecteur de construire ses propres histoires… Ce sont ici les premiers textes publiés de Gilles Guias. Ils tiennent tout à la fois de l’aphorisme, du commentaire, de l’allusion, du haïku et de diverses formes brèves sans jamais se laisser réduire à l’un ou l’autre de ces modèles. Ce qui frappe dans les quelques lignes qui accompagnent chaque image, c’est leur pertinence chaleureuse, leur capacité à prolonger l’atmosphère du dessin, à en faire résonner l’écho dans un mode d’expression et une dimension autres.

La moustache inattendue se présente simultanément comme un acte de libération et comme une déclaration d’amour à Paris, à ses monuments, à ses habitants, à ses atmosphères, à ses ombres et à ses lumières. Le Paris de Gilles Guias n’est pas nécessairement celui que chacun d’entre nous perçoit. Il est à la fois très réel, présent, fantasmé et nostalgique. Le texte numéro treize [illustration 2] ne déclare-t-il pas :

J’aime Montmartre,
mais celui de Doisneau.

Il y est parfois question de départ et de retour, de solitude et d’errance, à l’instar de celles du héros du Ulysses de Joyce, mais aussi de rencontres et de sociabilité. Ainsi le numéro trente-six [illustration 3] :

De la ville au quartier,
du quartier au village,
du village au papotage.

Les toits et les balcons, les ruelles et les places, les grandes perspectives et les espaces renfermés, les contrastes entre intérieur et extérieur, peuplent ces pages. On y rencontre aussi des personnages paumés, tel ce pochard du numéro trente et un [illustration 4] dont le visage est comme sculpté dans la masse picturale :

35 ans de bitures, et les vapeurs d’alcool
sur sa digne tête de clodo.

La lecture du texte est souvent en abîme. Ainsi, le numéro trente-huit [illustration 5]dépeint un personnage au pied d’un des escaliers de la butte Montmartre. Le refrain de laComplainte de la Butte de Jean Renoir vient immédiatement à l’esprit :

Les escaliers de la butte sont durs aux miséreux
Les ailes des moulins protègent les amoureux

mais c’est l’interprétation qu’en donna Mouloudji que retient Gilles Guias :

Pas étonnant que Mouloudji
rime avec Paris.

Il y a bien d’autres choses à découvrir encore dans ce petit volume, simple et attachant, mais propice à la rêverie, que nous offre Gilles Guias. Ce qui est certain, c’est qu’il concrétise une nouvelle étape dans la démarche de cet artiste qui n’a pas fini de nous surprendre et de nous dérouter…

Louis Doucet, décembre 2013

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[1] Voir Gilles Guias et le paradoxe du mouvement, in Subjectiles III, éditions Le Manuscrit, 2012.
[2] Voir Mythes en abîme, in Subjectiles IV, éditions Le Manuscrit, 2013.





Éditions Cynorrhodon - FALDAC

« La moustache inattendue » aux Éditions Cynorrhodon – FALDAC

Contrairement à toute attente et au risque de décevoir les lectrices amatrices de viriles bacchantes, il n’est pas question de moustache dans cet ouvrage. L’inattendu est à chercher ailleurs.

Après neuf mois passés à mettre en abîme des mythes antiques, modernes et contemporains, Gilles Guias, plasticien né en 1965, se libère dans une déclaration d’amour à Paris, à ses monuments, à ses habitants, à ses atmosphères, à ses ombres et à ses lumières.

Il se lance aussi dans l’écriture et nous livre ici ses premiers textes publiés. Ils tiennent tout à la fois de l’aphorisme, du commentaire, de l’allusion, du haïku et de diverses formes brèves sans jamais se laisser réduire à l’un ou l’autre de ces modèles. Ce qui frappe dans les quelques lignes qui accompagnent chaque image, c’est leur pertinence chaleureuse, leur capacité à prolonger l’atmosphère du dessin, à en faire résonner l’écho dans un mode d’expression et une dimension autres.

Livre aux Éditions Cynorrhodon – FALDAC

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